Bien que pratiquant volontiers quelques péchés véniels dans le secret de nos alcôves et de nos déclarations fiscales, nous ne trouvons généralement pas salvateur de nous identifier à un délinquant malmené et négligeons de nous émouvoir d’un contrôle resserré sur ses pensées. Pourtant la levée autoritaire du secret médical de tout prisonnier demandant une sortie ne nous protègera pas d’une nouvelle « affaire Adeline » puisque le secret médical n’a joué aucun rôle dans ce crime. Habilement, après avoir fait sauter le lampiste, l’autorité politique, qui assumait tout de même la surveillance de la Pâquerette et aurait dû répondre au premier chef de ce désastre, s’en prend à l’intimité de personnes soumises à des mesures thérapeutiques.
Passons sur le scepticisme et la perplexité que cette proposition a déclenchés chez les plus fins penseurs du droit et de la médecine. Car il y a autre chose, de plus sournois. Cette nouveauté sert moins à protéger la société contre des personnages dont la dangerosité ne serait pas autrement détectable, qu’à blesser cette société dans son essence. Le droit au secret est le fondement de la liberté moderne, la racine de l’Etat libéral : c’est pour le droit d’être un individu compliqué, inconnaissable, pudique et discret que des têtes sont tombées en 1789. Or nous voilà parvenus à l’époque où, les nouveaux moyens technologiques ravivant les anciennes fins, grande est la tentation de pénétrer l’intimité de chacun, possible abuseur, client ou assassin, pour y débusquer la Vérité toute nue qui pourtant n’a jamais existé que dans les beaux-arts. Dans ce contexte à faire saliver les ex-dictatures du XXe siècle, l’atteinte portée au nom de la loi aux secrets du moindre d’entre nous est un coup porté à l’Etat de droit. Les droits fondamentaux, dont chacun peut réclamer la protection garantissent aussi des valeurs collectives que l’Etat doit s’efforcer de réaliser dans toutes ses activités. La valeur protégée par les libertés fondamentales est l’existence humaine et ses conditions essentielles. La Constitution garantit à chacun.e le droit au respect de sa vie privée dont fait partie toute manifestation de ce que le particulier considère comme formant son monde. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la garantie de la sphère privée vise à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables. C’est donc bien aux conditions essentielles à toute vie humaine qu’il est question d’attenter en traquant la pensée dangereuse au nom du salut public.
Quant au vertueux souci de rudoyer le secret médical pour protéger le monde d’autres Fabrice A, n’oublions pas que les prisons abritent une majorité d’êtres qui paient chèrement leur maladie dans la promiscuité de geôles surpeuplées alors qu’ils n’ont souvent porté à l’ordre public qu’une atteinte assez bégnine pour subir une peine légère. Cependant, en raison du trouble mental qui a présidé à leur acte, ils sont astreints à des mesures pénales reconductibles de cinq ans en cinq ans sans limite maximale. Ainsi dans un cas récent (6B_1160/2013 du 20 février 2014) le Tribunal fédéral a-t-il maintenu une mesure pénale en milieu fermé alors même que les « infractions réprimées n’étaient pas très graves intrinsèquement » de sorte que, pour des actes qui lui avaient valu sept mois de privation de liberté (dommages à la propriété, menace contre les autorités et actes hétéro-agressifs à l’égard du personnel des hôpitaux psychiatriques où il était soigné, bref tout l’arsenal désorganisé et pathétique d’une personne hallucinée d’une souffrance impartageable), un schizophrène est enfermé dans une prison pour y subir des mesures thérapeutiques institutionnelles depuis sept ans sans perspective de sortie. Et c’est à ce qui lui reste de liberté, à sa pauvre liberté d’être pensant, de mystère à soi-même que l’on veut aujourd’hui porter une atteinte encore plus substantielle en lui ôtant jusqu’au secours de la parole protégée.
Au lieu d’avoir le courage de faire amende honorable pour le crime qui s’est commis sous leur empire, voici que nos magistrats annoncent qu’ils s’en prendront aux condamnés pour répondre à un problème qui ne s’est pas posé, puisque ce n’est pas le secret médical mais l’inaptitude de l’autorité à surveiller son propre fonctionnement qui a mené à l’assassinat. De la vertu, ça ? Allons donc! Ou alors c’est celle dont Jean Giraudoux disait qu’elle est la cuirasse des magistrats faibles.
Article paru dans le Courrier du 15 avril 2014
BUR JUR/ PRESSE/2014