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Rapport de la mission d’observation au Sahara occidental du 3 au 5 décembre 2007

par | 28 décembre 2007 | Commission d'observation de procès à l'étranger

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Personnes rencontrées a l’occasion de la mission

Introduction

Rapport d’activité

Audiences

Conclusions

Ressources externes

Personnes rencontrées a l’occasion de la mission

Membres de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits humains commises par l’Etat marocain (ASVDH)

  • Mme El Ghalia Djimi, ex-disparue de 1987 à 1991, Vice-présidente de l’ASVDH.
  • M. Sidi Mouhamed Daddach, ancien prisonnier de guerre sahraoui de 1976 à 2001.
  • M. Mustapha Dah, ex.disparu de 1987 à 1991, membre du Conseil de coordination de l’ASVDH.
  • M. Bachir Lekhfaouni, ex disparu de 1976 à 1991, membre de Bureau exécutif de l’ASVDH.
  • M. Daha Rahmouni, ex disparu de 1987 à 1991, participant à la 6ème Commission du CDH à Genève (Conseil des droits de l’homme, ONU).
  • M. Mouhamed Mayara, également membre du Comité des familles des martyrs sahraouis des bagnes secrets marocains.

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Avocats

  • Me Moulainine Laghdaf, avocat, membre du Conseil de l’Ordre des Avocats d’Agadir.
  • Me Mohamed Boukhaled, avocat.
  • Me Mohamed Lahmad, avocat.
  • Me Hassan Benemman, avocat.
  • Me Ahmed Bouchâab, avocat.
  • Me Abdelkrim Marbati, avocat.

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Autorités

  • M. le Juge Mohamed Baha, Vice-président de la Cour d’Appel de Laayoune.

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Observatrices et observateurs espagnols

  • Me Julio Vega Lopez, professeur de droit du travail et de la sécurité sociale à l’Université de Las Palmas de Gran Canaria.
  • Me Luis Mangrane Cuevas, avocat, Saragosse.
  • Me Dolores Travieso Darias, avocate, Las Palmas de Gran Canaria.
  • Me Araceli Fernadez de Cordoba Cantizano, avocate, Las Palmas de Gran Canaria.
  • Me Ana Perez Nordelo, avocate, Las Palmas de Gran Canaria.

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Introduction

Accédant à la demande des mouvements de défense des droits de l’homme du Sahara occidental, la Ligue suisse des droits de l’homme, section de Genève, m’a dépêché sur place en qualité d’observateur afin d’assister à trois audiences pénales concernant des militants des droits de l’homme, les 3, 4 et 5 décembre 2007. J’ai retrouvé sur place des avocats espagnols avec qui j’ai pu étroitement collaborer.
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Rapport d’activité

Lors de mon arrivée à l’aéroport de Laayoune, le 2 décembre peut avant minuit, j’ai été contrôlé par les autorités douanières et policières marocaines. Après avoir donné la raison précise de ma présence à Laayoune, un policier en uniforme a pris mon passeport et procédé à des vérifications pendant une vingtaine de minutes. J’ai ensuite été questionné rapidement par un homme en civil qui n’a pas décliné son identité ou sa fonction. Je lui ai confirmé être sur place pour suivre, à titre d’observateur de la Ligue suisse des droits de l’homme, les procès des 3, 4 et 5 décembre, concernant notamment MT. Suite à mes explications, les autorités m’ont délivré l’autorisation d’entrée sur le territoire et souhaité la bienvenue au Maroc.

Le 3 décembre à 8 h. 45, en compagnie de Me Mangrane Cuevas, j’ai rendu une visite protocolaire à M. Mohamed Baha, vice-président de la Cour d’Appel de Laayoune afin de lui annoncer notre intention d’assister aux audiences des 3, 4 et 5 décembre. M. Baha nous a souhaité la bienvenue. Sur question quant à la nature de ma mission, je lui ai confirmé être là à titre d’observateur, qu’un rapport serait rédigé sur la conduite du procès au regard du respect des droits de la défense et des droits de l’homme et que je n’entendais pas intervenir à quelque autre titre. M. Baha nous a assuré de toute sa coopération et de celle de la Cour. A notre demande, M. Baha a accepté de nous revoir le lendemain afin de nous entretenir plus longuement à propos de l’affaire de MT devant être jugée en Appel. Il nous a ensuite fait conduire en salle d’audience afin d’assister à l’audience de Première instance concernant, pour une autre affaire, ce même MT (voir infra).

Le 4 décembre à 8 h. 45, Me Mangrane Cuevas, Me Travieso et moi-même avons été à nouveau reçus par M. Baha. Ce dernier nous a expliqué qu’il ne présiderait pas l’audience d’appel de ce jour concernant MT, ayant été le juge de Première instance de cette affaire. Il nous a ensuite brièvement décrit le système judiciaire pénal et confirmé que la Cour d’appel, lorsqu’elle juge en instance de recours, dispose d’un plein pouvoir de cognition en fait et en droit. La voie de recours contre sa décision est celle de la cassation qui est de la compétence, limitée au droit, de la Cour suprême siégeant à Rabat.

Nous avons ensuite demandé l’aide d’un interprète. M. Baha a consenti à mettre à notre disposition un fonctionnaire de la Cour. Ce dernier traduirait en espagnol. Un des avocats espagnols se chargeant de traduire en anglais à mon intention. M. Baha a toutefois précisé qu’à l’avenir la Cour ne souhaitait plus fournir ce service. Il a attiré notre attention sur le fait qu’il n’appartient pas à la Cour de fournir des interprètes hormis pour la défense des prévenus. Les observateurs étant considérés comme faisant partie du public, c’est à eux de s’organiser pour disposer d’interprètes, ceci afin de ne pas surcharger la Cour d’une tâche qui n’est pas la sienne et de garantir impartialité et indépendance. Ce point de vue nous a paru justifié. Nous l’avons remercié de son aide pour cette fois et assuré qu’à l’avenir nous prendrions les dispositions nécessaires.

Le 5 décembre à 8 h.45, nous nous sommes présentés au Palais de justice pour assister à l’audience concernant trois jeunes militants sahraouis (voir infra). Une petite foule d’hommes, d’adolescents et de femmes se pressait devant l’entrée gardée par des policiers en civil à l’allure martiale derrière leurs lunettes noires. Au moment où nous sommes arrivés, le portail d’entrée a été fermé par un gardien. Les policiers nous ont retenus et ont demandé la raison de notre présence, si nous étions autorisés à assister à l’audience, par qui et si nous avions une autorisation écrite. Nous avons relaté notre rencontre de la veille avec M. Baha, ce qui n’a pas eu l’air de vouloir débloquer la situation. Quelques minutes plus tard est arrivé un homme en civil, plus âgé. Il a donné quelques ordres en arabe. Les policiers nous ont alors laissés passer. Jetant un œil en arrière avant d’entrer dans le Palais, j’ai constaté que le portail avait été ouvert et que les personnes massées devant n’y étaient plus. Je les ai retrouvées quelques minutes plus tard dans la salle d’audience.

Le même jour, dans l’après-midi, je me suis rendu en compagnie de confrères espagnols, au port de Laayoune, à une vingtaine de kilomètres de la ville. Sur la route, notre taxi a été arrêté pour un contrôle de police. Après avoir appris que nous étions tous avocats ou juristes, les policiers ont pris nos passeports et procédé à des vérifications et échanges radio pendant une demi-heure environ avant de nous laisser passer.

En résumé, l’accueil des autorités en général a été d’une froide courtoisie, quelque peu intrusif et plutôt positif en ce qui concernent les relations avec le pouvoir judiciaire, mais chargé d’un intérêt prononcé qui montre que nos faits et gestes revêtaient une importance certaine pour lesdites autorités. Je n’ai toutefois pas détecté de surveillance lors de mes déplacements dans Laayoune. J’ai pu rencontrer et m’entretenir sans ingérence avec les gens de la rue comme avec les avocats et les membres des mouvements des droits de l’homme. J’ai toutefois constaté, de manière générale, une importante présence policière et militaire dans la ville, notamment devant les lycées et autres lieux de rassemblement. J’ai également vu voler, à deux reprises le 3 décembre, un drone de surveillance sans pouvoir dire ce qu’il surveillait. Ma sortie du Maroc n’a pas été l’objet d’une attention particulière.
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Audiences

1. Lundi 3 décembre 2007 | Ministère public c/ MT

  • Infraction: destruction de biens publics.
  • Peine encourue: Amende
  • Niveau: Première Instance
  • Autorité: Tribunal de première instance de Laayoune
  • Composition du tribunal: Président juge unique, greffier
  • Accusation: Substitut du Procureur général du roi
  • Défense: Prévenu absent, en détention, pas d’avocat présent

L’audience débute à 9 h. Le Président du tribunal est juge unique. Il est entouré du Procureur de roi qui soutient l’accusation et d’un greffier. La salle est pratiquement pleine de public, prévenus et familles.

Le Président a devant lui une pile de dossiers. Il appelle les prévenus les uns après les autres. De nombreux appelés ne sont pas présents. Lorsqu’ils sont présents, les prévenus comparaissent, les témoins sont appelés. Le Procureur requiert et l’avocat, lorsqu’un est constitué, plaide. Puis la Cour garde l’affaire à juger. Les jugements ou les reports d’audience sont communiqués dans la journée.

A 9 h.30, le Président appelle l’affaire de MT. Ce dernier n’est pas présent et l’affaire est gardée à juger. A ma demande, un avocat présent (mais qui n’est pas l’avocat de MT), questionne le Président sur le sort prévisible de l’affaire. J’apprends ainsi qu’elle est de peu d’importance, qu’elle sera jugée dans la journée et qu’elle devrait se solder par une amende.

Répondant à ma question sur le nombre élevé d’absents, l’avocat m’explique que, selon lui, beaucoup de prévenus ne comprennent pas la nature du jugement de première instance. Ils attendent de connaître la décision du tribunal avant de se décider à se défendre et le font alors par le biais d’une procédure en appel.

Je rejoins ensuite la salle de l’Ordre des avocats où je rencontre Me Boukhaled, avocat de MT. Il m’informe que son client est actuellement détenu à la prison de Laayoune où il purge une peine de trois ans, objet de la procédure d’appel devant être jugée le lendemain. Me Boukhaled s’étonne que MT n’ait pas été présent à l’audience d’aujourd’hui. Etant détenu, il aurait été aisé de l’amener devant le Tribunal. La conséquence est qu’il sera jugé sans avoir pu s’expliquer, ce qui constitue, de son point de vue, une violation du droit à un procès équitable. Je demande s’il est possible de rendre visite à son client, mais il m’assure que ce serait inutile de le demander, je passerais ma journée à être renvoyé d’un bureau à l’autre sans aucune chance d’obtenir l’autorisation nécessaire.

En fin de journée, je suis informé que MT a été condamné à une amende de MAD 120, soit environ € 12. La faible quotité de la peine ne doit cependant pas faire oublier qu’elle a été infligée sans que l’accusé ait eu la possibilité de se défendre et sur la seule base des rapports d’enquête et d’instruction.
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2. Mardi 4 décembre 2007 | Ministère public c/ MT

  • Infraction: Art. 581 Code pénal marocain; dommage à la propriété d’autrui par l’usage du feu.

Art. 581:
Quiconque, lorsque ces biens ne lui appartiennent pas, met volontairement le feu:

  • soit à des bâtiments, logements, loges, tentes, cabines même mobiles, navires, bateaux, magasins, chantiers, lorsqu’ils ne sont ni habités, ni servant à l’habitation;
  • soit à des véhicules ou aéronefs ne contenant pas de personnes;
  • soit à des forêts, bois, taillis ou à du bois disposé en tas ou en stères;
  • soit à des récoltes sur pied, à des pailles ou des récoltes en tas ou en meules;
  • soit à des wagons, chargés ou non de marchandises ou autres objets mobiliers ne faisant pas partie d’un convoi contenant des personnes, est puni de la réclusion de dix à vingt ans.
  • Peine encourue: confirmation de la peine de 3 ans prononcée en première instance.
  • Niveau: Appel (deuxième degré)
  • Autorité: Chambre des appels criminels près la Cour d’Appel de Laayoune
  • Composition de la Cour: Président Mohamed Baha, quatre juges et un greffier
  • Accusation: Substitut du Procureur général du roi
  • Défense: Me Boukhaled, Me Benemman, Me Mohamed

L’audience s’ouvre peu après neuf heures devant une salle comble. Des hommes, des adolescents et des femmes remplissent les bancs. Les hommes sont groupés à droite, les femmes à gauche. Cinq policiers en uniforme, sans arme, gardent les issues. Certains spectateurs me questionnent sur ma présence. J’apprends qu’ils sont, pour la plupart, des sympathisants du Polisario venus soutenir MT.

Le Président, après avoir rapidement traité quelques affaires devant être reportées, appelle MT Ce dernier entre en scandant, en arabe, des slogans en faveur de l’autodétermination du peuple sahraoui. Il donne l’impression d’un homme fatigué et nerveux.

Le Président commence immédiatement l’interrogatoire en demandant à l’accusé de s’expliquer sur les faits.

Me Mohamed intervient pour dire que son client n’a pas été arrêté au moment des faits, mais plus tard et sans aucune preuve directe.

Le Président demande ensuite à l’accusé de s’expliquer sur la déclaration de la police.

MT parle alors de l’arbitraire de son arrestation due à son appartenance à un mouvement de défense des droits de l’homme et à sa sympathie pour le Front Polisario et les thèses sur l’autodétermination du peuple sahraoui.

Le Procureur intervient pour faire remarquer que l’accusé ne répond pas aux questions et se contente de parler de sa lutte politique.

Me Boukhaled intervient en demandant que le passeport de MT, saisi par la police, soit apporté comme pièce à conviction. Ce passeport apporterait la preuve que son client a été détenu illégalement pendant sept jours et qu’il avait pu quitter le territoire du Sahara sans encombre après les faits, ce qui paraît incompréhensible si, comme le prétend l’accusation, un policier témoin a identifié MT sur le lieu de l’infraction. Cette requête n’est pas suivie d’effet. (Erratum: paragraphe corrigé le 15.03.08)

L’avocat fait ensuite valoir les points suivants:

  1. Les conditions de l’arrestation de MT sont pour le moins douteuses. Il a été arrêté à son retour de Mauritanie où il venait de passer deux mois. Il a été placé sept jours en détention illégale, torturé par la police et poussé à avouer des faits qu’il n’avait pas commis.
  2. Il n’a pas été arrêté en flagrant délit.
  3. L’affaire n’a pas été instruite, ce qui constitue une violation du Code de procédure pénale.
  4. Le passeport de MT, saisi par la police, ne figure pas dans les pièces. Or il apporte des preuves concernant la détention illégale de ce dernier et la date de son départ en Mauritanie, ce qui met en doute un policier témoin à charge. (Erratum: paragraphe corrigé le 15.03.08)
  5. C’est au Ministère public de prouver les faits fondant l’accusation, pas à l’accusé de prouver son innocence.
  6. Il n’y a pas eu de confrontation avec les policiers témoins. Ils n’ont pas témoigné oralement et la défense n’a pas pu leur poser de question ce qui rend leurs témoignages nuls.
  7. Le Ministère public avance que MT avait des complices, mais il ne les a pas présentés devant la Cour.
  8. Un policier témoin dit avoir vu la voiture en feu et quelqu’un courir. Il dit avoir reconnu MT à la lumière d’un réverbère, mais ce témoin n’a jamais comparu.
  9. L’art. 581 du Code pénal marocain est à la base de l’accusation, mais les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas remplis.
  10. Les procès verbaux ont été fabriqués sans preuve ni témoin par la police judiciaire.
  11. La condamnation est fantaisiste.
  12. L’accusation soutient qu’un droguiste a dit que MT avait acheté du produit inflammable, mais lorsqu’il est questionné par la police judiciaire, il ne reconnaît pas MT.

MT prend la parole pour exiger que son passeport soit apporté. Il nie tous les faits et affirme que lors de leur entrevue, le Procureur de garde (ndr: qui n’est pas celui qui soutient l’accusation devant la Cour) ne lui a posé aucune question, se contentant de lui dire de signer ses aveux, obtenus sous la torture et autres pressions, afin de pouvoir être conduit en prison et de mettre ainsi fin aux mauvais traitements.

Me Mohamed prend la parole pour souligner que:

  1. MT est poursuivi uniquement car il est le Président de l’ASVDH à Boujdour.
  2. La police judiciaire s’acharne contre les activistes des Droits de l’Homme.
  3. MT est allé en Mauritanie en toute légalité, mais que ce voyage a été nié par la police qui cache le passeport et les bagages de l’accusé.
  4. Que le policier témoin dit avoir vu quelqu’un de la taille de MT, mais que ceci et vague et qu’il n’y a pas d’autres témoins.
  5. Que MT affirme n’avoir pas commis l’infraction qu’on lui reproche et que le Procureur a rédigé seul le procès-verbal d’instruction sans poser de questions à l’accusé. MT est connu de tout le monde et chacun sait que ce n’est pas son style de commettre le genre d’actes qu’on lui impute.

Le Procureur du roi prend la parole pour affirmer que MT a bien commis l’infraction réprimée par l’art. 581 du Code pénal marocain, comme en atteste le dossier.

Me Mohamed reprend la parole pour souligner que c’est la première fois qu’un accusé dit devant la Cour qu’aucune question ne lui a été posée par le Procureur de garde, le jour de sa présentation. Cela est très grave et surprend tous les avocats.

Le Président demande à MT s’il a quelque chose à ajouter.

MT répète n’avoir rien fait et affirme que l’accusation n’est que le fruit d’un travail de sabotage des mouvements de défense des Droits de l’Homme de la part de la police. Il remercie les avocats et les observateurs internationaux pour leur présence, puis sort en scandant des slogans en faveur du Front Polisario et de l’autodétermination du peuple sahraoui.

Le Président clôt les débats et annonce que le jugement sera rendu dans l’après-midi.

En fin d’après-midi, nous apprenons que la peine de trois ans prononcée en Première instance a été réduite à deux ans et demi par la Cour d’appel.

Selon les avocats de MT, cette réduction n’est que l’application d’ordres donnés en raison de la présence des observateurs internationaux.
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3. Mercredi 5 décembre 2007 | Ministère public c/ MB (né en 1989)

Infraction: Art. 580 al. 2 Code pénal marocain; dommage à l’intégrité physique et à la propriété d’autrui par l’usage du feu.

Art. 580:

al. 1: Quiconque met volontairement le feu à des bâtiments, logements, loges, tentes, cabines même mobiles, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servent à l’habitation et généralement aux lieux habités ou servant à l’habitation, qu’ils appartiennent ou n’appartiennent pas à l’auteur du crime, est puni de mort.

al. 2: Est puni de la même peine quiconque volontairement met le feu, soit à des véhicules, aéronefs ou wagons contenant des personnes, soit à des wagons ne contenant pas de personnes mais faisant partie d’un convoi qui en contient.

Peine encourue: MORT

(ndr: La dernière exécution remonte à 1993. Depuis, des condamnations ont été prononcées, mais nombreuses sont celles qui ont été commuées en peines de prison à perpétuité. Dans les affaires concernant les défenseurs des Droits de l’Homme, les infractions sont généralement requalifiées pour permettre la condamnation à une peine inférieure à cinq ans de prison.)

Niveau: Première Instance

Autorité: Chambre criminelle près la Cour d’Appel de Laayoune

Composition de la Cour: Président Mohamed Baha, deux conseillers et un greffier

Accusation: Substitut du Procureur général du roi

Défense: Me Boukhaled, Me Benemman, Me Mohamed

Rappel des faits MB, défenseur des Droits de l’Homme, membre de l’ASVDH et sympathisant du Front Polisario, est accusé d’avoir, le 20 mai 2007, en compagnie de complices, attaqué au cocktail molotov, une petite voiture blanche de marque Fiat Ritmo appartenant à M. AK, sergent d’infanterie, lequel se trouvait en compagnie de son beau-frère M. SM. Le premier aurait été brûlé à la tête, le second à l’oreille droite. La voiture aurait subi des dégâts (vitres brisées, brûlures à l’intérieur et à l’extérieur). Les victimes n’ont pas fourni de certificats médicaux, mais le dossier fait référence à des photographies des blessures et de la voiture. MB aurait été brûlé au cou pendant l’attaque, puis soigné par Mme DE, que MB ne connaît pas, mais chez qui il se serait réfugié en fuyant le lieu de l’infraction.

L’opération aurait été préparée par plusieurs personnes introuvables depuis et MB y aurait participé par intérêt pécuniaire.

MB a été arrêté le 19 juin 2007. Il est détenu depuis à la prison civile de Laayoune (connue sous le nom de « Prison Noire »). Aucun des complices présumés n’a été appréhendé.

MB conteste les faits, revenant sur des aveux arrachés sous la pression et les mauvais traitements.

L’audience s’ouvre peu après neuf heures devant une salle comble. Les hommes et les adolescents sont assis à gauche, les femmes sont à droite (ndr: contrairement à ce qui se passe en Europe, le public mineur a accès à la salle d’audience). Des policiers en uniforme gardent les issues. Le Président appelle tout d’abord les affaires devant être reportées, puis il fait venir MB qui entre en scandant des slogans en faveur de l’autodétermination du peuple sahraoui et du Front Polisario. A son entrée quelques nouveaux viennent encadrer le prévenu debout à la barre, face à la Cour.

Le Président procède à l’appel des témoins. Seul un homme vêtu d’une combinaison de mécanicien militaire se présente. Les autres témoins ne sont pas là. Le Président demande s’ils ont été dûment convoqués, mais une certaine incertitude règne sur ce point.

Me Benemman prend la parole pour réclamer le report de l’audience en raison de l’absence des témoins à charge et à décharge et des victimes.

Le Ministère public s’oppose au report, soutenant que tous les témoignages et autres éléments nécessaires au jugement figurent au dossier, rendant inutile la comparution des témoins.

Me Benemman, puis Me Boukhaled insistent pour que le report soit prononcé, appuyant sur le fait que la Cour dispose de trois moyens qui doivent, cas échéant être utilisés pour assurer la comparution, à savoir la convocation écrite, l’usage de la police pour amener le témoin et la détention du témoin.

Le Président, après avoir pris note que le Ministère public continue de s’opposer, décide que les témoins doivent être convoqués une nouvelle fois et reporte l’audience au 9 janvier 2008.

MB sort de la salle, les bras levés et les doigts formant le V de la victoire, en scandant à nouveau des slogans partisans.
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4. Mercredi 5 décembre 2007 | Ministère public c/ NS et ME (nés tous deux en 1988)

Infraction: Art. 580 al. 2 Code pénal marocain; dommage à l’intégrité physique et à la propriété d’autrui par l’usage du feu.

Art. 580:

al. 1: Quiconque met volontairement le feu à des bâtiments, logements, loges, tentes, cabines même mobiles, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servent à l’habitation et généralement aux lieux habités ou servant à l’habitation, qu’ils appartiennent ou n’appartiennent pas à l’auteur du crime, est puni de mort.

al. 2: Est puni de la même peine quiconque volontairement met le feu, soit à des véhicules, aéronefs ou wagons contenant des personnes, soit à des wagons ne contenant pas de personnes mais faisant partie d’un convoi qui en contient.

Peine encourue: MORT

Niveau: Première Instance

Autorité: Chambre criminelle près la Cour d’Appel de Laayoune

Composition de la Cour: Président Mohamed Baha, deux conseillers et un greffier

Accusation: Substitut du Procureur général du roi

Défense: Me Marbati, Me Bouchâab, Me Boukhaled, Me Benemman, Me Mohamed

Rappel des faits

MM. NS et ME, défenseurs des Droits de l’Homme, membres de l’ASVDH et sympathisants du Front Polisario, sont accusés d’avoir, en juin 2007, en compagnie de complices, attaqué au cocktail molotov, une voiture de police, causant des brûlures à trois policiers se trouvant à bord et des dégâts matériels au véhicule. Les victimes ont joint au dossier des certificats médicaux et un devis de réparation du véhicule. Deux mineurs auraient témoigné avoir entendu le bruit causé par l’agression et vu NS s’enfuyant. Pourtant, plus loin dans le dossier un des enfants, NK a dit être endormi au moment des faits et n’avoir aucune information à donner. Quant au second, MH, il aurait vu des hommes enturbannés, mais ne pourrait pas les identifier.

NS a été arrêté alors qu’il séjournait chez sa famille dans le désert où il affirme qu’il se trouvait déjà au moment des faits. Pour la police, il ment au sujet de sa date d’arrivée dans le désert.

Selon le dossier, NS a reconnu les faits après son interrogatoire par la police et nommés ses complices dont ME qui aurait été l’organisateur de l’opération. Il aurait avoué avoir été instigué par un juriste sahraoui et avoir participé à l’opération par intérêt pécuniaire.

Mais, NS a déclaré, lors d’un interrogatoire suivant, avoir été contraint de faire ces aveux, suite aux tortures infligées par l’officier de police ayant procédé à son arrestation. ME a nié toute participation à l’opération.

Aucun autre des présumés complices n’a été appréhendés.

Aucune des victimes n’a pu reconnaître les accusés.

L’audience suit directement celle de MB. Le Président appelle les prévenus qui entrent en scandant des slogans favorables à l’autodétermination du peuple sahraoui et au Front Polisario. Des policiers entourent les prévenus qui font face à la Cour.

Me Marbati demande la parole et, se basant sur les déclarations contradictoires des témoins mineurs figurant au dossier, demande le report de l’audience et la comparution des témoins. Il soutient que leur témoignage est très important, notamment parce qu’ils ont été entendus par la police hors la présence de leurs parents et qu’ils n’étaient pas assermentés.

Le Ministère public s’oppose au report de l’audience au motif que la police est allée chercher les témoins, mais ne les a pas trouvé.

Me Marbati insiste en soulignant que la loi prévoit la comparution de tous les témoins et non pas seulement ceux que la police veut bien trouver. Ils doivent être dûment convoqués si l’on veut que le droit soit appliqué correctement.

Le Président décide de reporter l’audience au 9 janvier 2008 et demande que tous les témoins et les victimes soient convoqués dans les formes.

L’audience étant close, les prévenus sortent à nouveau en scandant des slogans politiques. Les observateurs quittent la salle vers dix heures.

Je retrouve ensuite les avocats qui me font part de leur agacement face à la mauvaise volonté manifestée par les autorités, notamment la police, dans la conduite de la procédure. Les reports successifs d’audiences sont monnaies courantes et les moyens pour faire comparaître les témoins ne sont pas mis en œuvre efficacement. Ils relèvent toutefois, avec moi, que le Président a appliqué le droit en respectant leurs demandes de comparutions et qu’ils doivent considérer que le report constitue une chance donnée aux prévenus de pouvoir être confrontés à leurs accusateurs et leur poser des questions, ce qu’ils n’ont pas pu faire jusque là.
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Conclusions

La mission se termine sur cette note mi-figue, mi-raisin. Satisfaction de voir que des infractions aussi graves et si peu établies, pouvant, en théorie du moins, entraîner des condamnations à mort ne seront pas jugées à la légère, sans témoin ni preuve, sur la seule base des rapports de police. Mais frustration de constater que ce qui devrait être la pratique courante des autorités, selon la loi marocaine elle-même, à savoir le respect scrupuleux du droit en général et des Droits de l’Homme en particulier, reste une bataille à mener continuellement.

Ligue suisse des droits de l’Homme

Genève, le 29 décembre 2007

 

Ressources externes

  • www.asvdh.net – Site Internet de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits humains commises par l’Etat marocain 

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