1. Accueil
  2.  » 
  3. Ligue suisse
  4.  » 
  5. Commissions
  6.  » 
  7. Commission d'observation de procès à l'étranger
  8.  » Rapport de la mission d’observation au Sahara occidental du 18 janvier 2008

Rapport de la mission d’observation au Sahara occidental du 18 janvier 2008

par | 17 janvier 2008 | Commission d'observation de procès à l'étranger

Télécharger le rapport de mission au format .pdf

Sur cette page

Personnes rencontrées a l’occasion de la mission

  • Membres de l’ASVDH a Laayoune
  • Défenseurs des droits de l’Homme a Smara
  • Avocats
  • Autorités
  • Observateurs espagnols
  • Observateur italien

Introduction

Rapport d’activité

Audiences

  • Mercredi 9 janvier 2008 – Ministère public c/ Messieurs NS et AE
  • Mercredi 9 janvier 2008 – Ministère public c/ Monsieur MB

Conclusions

Haut de page



Personnes rencontrées a l’occasion de la mission

Membres de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits humains commises par l’Etat marocain (ASVDH) à Laayoune

  • Madame El Ghalia Djimi, ex-disparue de 1987 à 1991, vice-présidente de l’ASVDH.
  • Monsieur Sidi Mouhamed Daddach, ancien prisonnier de guerre saharaoui de 1976 à 2001.

Défenseurs des droits de l’Homme à Smara

  • Monsieur Fakkou Lebeihi, membre du CODESA (Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l’homme) et de nombreuses autres hommes et femmes saharaouis actifs dans la défense des droits de l’Homme.

Avocats

  • Me Bazaid Lahmad, avocat.
  • Me Hassan Benemman, avocat.
  • Me Ahmed Bouchâab, avocat.
  • Me Abdelkrim Marbati, avocat.

Autorités

  • Monsieur le juge Mohamed Baha, Vice-président de la Cour d’Appel de Laayoune.
  • Monsieur le procureur général du roi.
  • Monsieur le directeur de la prison civile de Laayoune.

Observateurs espagnols

  • Me Ines Miranda, avocate, Las Palmas de Gran Canaria.
  • Me Gustavo Adolfo Garci, avocat, Las Palmas de Gran Canaria.

Observateur italien

  • Monsieur Nicola Quatrano, magistrat, Naples.

Haut de page


Introduction

Suite au report au 9 janvier 2008 de l’audience concernant Messieurs MB, NS ET AE décidée le 5 décembre 2007 par la Chambre criminelle près la Cour d’Appel de Laayoune, la Ligue suisse des droits de l’Homme m’a dépêché en qualité d’observateur judiciaire. J’ai retrouvé sur place Me Ines Miranda et Me Gustavo Garci, avocats de Las Palmas, avec qui j’ai étroitement collaboré.

Haut de page


Rapport d’activité.

Je suis arrivé à Laayoune le 6 janvier au soir. Contrairement à ce qui s’était passé lors de mon voyage du 2 décembre 2007, je n’ai pas été questionné sur la raison de ma visite par les autorités marocaines. Le préposé, constatant que j’étais déjà venu à Layounne en décembre, a immédiatement tamponné mon passeport et m’a souhaité un bon séjour.

Le 7 décembre vers 10 heures, je me suis rendu au Palais de Justice et ai pris rendez-vous pour le mardi 8 décembre avec Monsieur Mohamed Baha, vice-président de la Cour d’Appel de Laayoune et avec le procureur général du roi.

Le 8 décembre à 10 heures j’ai eu un entretien avec le Vice-président Monsieur Baha. Nous avons évoqué les affaires de Messieurs MB, NS ET AE. Monsieur Baha m’a confirmé que les témoins avaient été convoqués régulièrement, mais ne pas savoir s’ils seraient tous présents à l’audience du lendemain. Je lui ai demandé son avis concernant l’appartenance politique des prévenus et les critiques quant au fait qu’ils ne sont pas considérés comme des prisonniers politiques. Le Vice-président m’a assuré que la Cour ne s’arrête pas à des considérations politiques et ne fait que juger si les faits retenus sont établis et s’ils remplissent les conditions des infractions reprochées.

Vers 11 heures, j’ai été reçu par le procureur général du roi. Après m’être présenté et lui avoir remis copie de ma lettre de mandat, il m’a assuré que j’étais le bienvenu et que le Ministère public était heureux de pouvoir collaborer avec les observateurs internationaux. J’ai demandé à être autorisé à rendre visite aux prévenus détenus à la prison civile de Laayoune. Le procureur m’a alors dit de m’adresser directement au directeur de la prison qui pourrait sans doute accéder à ma demande.

Après avoir quitté le procureur, je me suis rendu à la prison civile de Laayoune, surnommée « Prison Noire » afin d’y rencontrer le directeur. Ce dernier m’a reçu à l’extérieur de la prison, puis m’a fait entrer dans l’enceinte. Nous nous sommes installés pour parler dans une pièce donnant directement dans la cour de l’entrée de la prison. La pièce ne contenait qu’un mobilier limité et un moniteur de télévision diffusant des images des caméras de surveillance disposées à l’intérieur de la prison. Le directeur m’invita à regarder les images en les commentant. On y voyait le parloir où des visites avaient lieu, la cour, dans laquelle des prisonniers déambulaient et des couloirs où d’autres prisonniers circulaient.

Le directeur m’informa que je ne pouvais pas visiter les détenus sans autorisation écrite du Directeur de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion à Rabat, Monsieur Jawad Aamar. A ma demande il me donna connaissance du numéro de téléphone du service que j’appelai immédiatement. Monsieur Aamar étant en réunion, c’est son collaborateur qui me répondit, m’informant que la demande d’autorisation devait être faite par écrit. Je pouvais l’envoyer par fax immédiatement et aurais une réponse dans la journée. Je rentrai donc à l’hôtel, écrivis le courrier et l’envoyai par fax. Le reste de la journée passa sans qu’une réponse ne me parvint. A décharge, il faut relever que le fax ne pu être envoyé que vers 15 heures et que les deux jours suivants étaient fériés.

Le 9 décembre, jour du procès, Me Miranda, Me Garci, un couple de citoyens américains en voyage d’étude dans la région et moi-même, avons rendu une visite protocolaire au Vice-président Baha. Je lui ai présenté la jeune femme américaine comme mon interprète en raison de sa connaissance de la langue. Monsieur Baha m’a remercié d’avoir pris en compte ses vœux exprimés lors de ma dernière visite et a confirmé que, les procès étant ouverts au public, mon interprète et son époux étaient les bienvenus. Sur demande de Me Miranda, il a accepté de fournir un interprète pour la traduction en espagnol. Nous avons ensuite été conduit en salle d’audience (voir compte rendu ci-dessous).

Les 10 et 11 décembre, Monsieur Quatrano et moi-même nous sommes rendus à Smara, à 200 km au sud-est de Laayoune où nous avons rencontré de nombreux saharaouis, hommes, femmes et enfants, militants des droits de l’Homme, notamment Monsieur Fakkou Lebeihi, membre du CODESA arrêté en décembre dernier. Sous la conduite d’un de nos hôtes, nous avons visité la ville à la recherche des signes encore visibles des manifestations (appelées « Intifada ») qui ont eu lieu dans cette ville. Durant tout notre séjour et tout au long de nos déplacements nous avons été suivi et surveillé de très près par plusieurs policiers en civil, par des patrouilles en voiture et même par un membre du personnel de l’hôtel agissant comme informateur. La surveillance n’était pas vraiment dissimulée ce qui ajoutait au poids de cette omniprésence physique, le sentiment très désagréable d’être soumis à une pression psychologique. Il n’y a eu aucun contact direct avec la police ou l’armée, très présente à Smara.

Nous avons été contrôlés trois fois à l’aller et trois fois au retour par la police et la gendarmerie. Ces contrôles se sont limités à la prise en note des informations figurant sur nos passeports et à devoir fournir la raison de notre voyage.

Haut de page


Audiences

1. Mercredi 9 janvier 2008 | Ministère public c/ Monsieur NS et Monsieur AE (nés tous deux en 1988)

  • Infraction : Art. 580 al. 2 Code pénal marocain ; dommage à l’intégrité physique et à la propriété d’autrui par l’usage du feu.

Art. 580 :

al. 1 : Quiconque met volontairement le feu à des bâtiments, logements, loges, tentes, cabines même mobiles, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servent à l’habitation et généralement aux lieux habités ou servant à l’habitation, qu’ils appartiennent ou n’appartiennent pas à l’auteur du crime, est puni de mort.

al. 2 : Est puni de la même peine quiconque volontairement met le feu, soit à des véhicules, aéronefs ou wagons contenant des personnes, soit à des wagons ne contenant pas de personnes mais faisant partie d’un convoi qui en contient.

  • Peine encourue : MORT
    (ndr : La dernière exécution remonte à 1993. Depuis, des condamnations ont été prononcées, mais nombreuses sont celles qui ont été commuées en peines de prison à perpétuité. Dans les affaires concernant les défenseurs des droits de l’Homme, les infractions sont généralement requalifiées pour permettre la condamnation à une peine inférieure à cinq ans de prison.)
  • Niveau : Première Instance
  • Autorité : Chambre criminelle près la Cour d’Appel de Laayoune
  • Composition de la Cour : Président Mohamed Baha, deux conseillers et un greffier
  • Accusation : Substitut du procureur général du roi
  • Défense : Me Marbati, Me Bouchâab, Me Benemman, Me Lahmad

Rappel des faits

Messieurs NS et AE, défenseurs des droits de l’Homme, membres de l’ASVDH et sympathisants du Front Polisario, sont accusés d’avoir, en juin 2007, en compagnie de complices, attaqué au cocktail Molotov, une voiture de police, causant des brûlures à trois policiers se trouvant à bord et des dégâts matériels au véhicule. Les victimes ont joint au dossier des certificats médicaux et un devis de réparation du véhicule. Deux mineurs auraient témoigné avoir entendu le bruit causé par l’agression et vu Monsieur NS s’enfuyant. Pourtant, plus loin dans le dossier un des enfants, NK a dit être endormi au moment des faits et n’avoir aucune information à donner. Quant au second, MH, il aurait vu des hommes enturbannés, mais ne pourrait pas les identifier.

Monsieur NS a été arrêté alors qu’il séjournait chez sa famille dans le désert où il affirme qu’il se trouvait déjà au moment des faits. Pour la police, il ment au sujet de sa date d’arrivée dans le désert.

Selon le dossier, Monsieur NS a reconnu les faits après son interrogatoire par la police et nommés ses complices dont Monsieur AE qui aurait été l’organisateur de l’opération. Il aurait avoué avoir été instigué par un juriste saharaoui et avoir participé à l’opération par intérêt pécuniaire.

Mais, Monsieur NS a déclaré, lors d’un interrogatoire suivant, avoir été contraint de faire ces aveux, suite aux tortures infligées par l’officier de police ayant procédé à son arrestation. Monsieur AE a nié toute participation à l’opération.

Aucun autre des présumés complices n’a été appréhendés.

Aucune des victimes n’a pu reconnaître les accusés.

L’audience est ouverte aux alentours de 9 heures Le Président appelle les prévenus qui entrent en scandant des slogans favorables à l’autodétermination du peuple saharaoui et au Front Polisario. Des policiers entourent les prévenus qui font face à la Cour.

Le Président procède à l’appel des témoins. Seuls sont présents deux enfants mineurs de moins de 12 ans, accompagnés de deux adultes présentés comme leurs représentants légaux. Les autres témoins convoqués, y compris les policiers victimes, ne sont pas présents.

Sur question du Président, la Cour est informée que les témoins absents sont en vacances.

Le Président procède à la lecture des charges retenues et décide de reporter l’audience au 6 février 2008.

L’audience étant close, les prévenus quittent la salle en scandant des slogans pro Front Polisario.


2. Mercredi 9 janvier 2008 | Ministère public c/ Monsieur MB

  • Infraction : Art. 580 al. 2 Code pénal marocain ; dommage à l’intégrité physique et à la propriété d’autrui par l’usage du feu.

Art. 580 :

al. 1 : Quiconque met volontairement le feu à des bâtiments, logements, loges, tentes, cabines même mobiles, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servent à l’habitation et généralement aux lieux habités ou servant à l’habitation, qu’ils appartiennent ou n’appartiennent pas à l’auteur du crime, est puni de mort.

al. 2 : Est puni de la même peine quiconque volontairement met le feu, soit à des véhicules, aéronefs ou wagons contenant des personnes, soit à des wagons ne contenant pas de personnes mais faisant partie d’un convoi qui en contient.

  • Peine encourue : MORT
  • Niveau : Première Instance
  • Autorité : Chambre criminelle près la Cour d’Appel de Laayoune
  • Composition de la Cour : Président Mohamed Baha, deux conseillers et un greffier
  • Accusation : Substitut du procureur général du roi
  • Défense : Me Benemman, Me Lahmad

Rappel des faits

Monsieur MB, défenseur des droits de l’Homme, membre de l’ASVDH et sympathisant du Front Polisario, est accusé d’avoir, le 20 mai 2007, en compagnie de complices, attaqué au cocktail Molotov, une petite voiture blanche de marque Fiat Ritmo appartenant à Monsieur AhK, sergent d’infanterie, lequel se trouvait en compagnie de son beau-frère Monsieur SM. Le premier aurait été brûlé à la tête, le second à l’oreille droite. La voiture aurait subi des dégâts (vitres brisées, brûlures à l’intérieur et à l’extérieur). Les victimes n’ont pas fourni de certificats médicaux, mais le dossier fait référence à des photographies des blessures et de la voiture. Monsieur MB aurait été brûlé au cou pendant l’attaque, puis soigné par Madame DE, que Monsieur MB ne connaît pas, mais chez qui il se serait réfugié en fuyant le lieu de l’infraction.

L’opération aurait été préparée par plusieurs personnes introuvables depuis et Monsieur MB y aurait participé par intérêt pécuniaire.

Monsieur MB a été arrêté le 19 juin 2007. Il est détenu depuis à la prison civile de Laayoune (connue sous le nom de « Prison Noire »). Aucun des complices présumés n’a été appréhendé.

Monsieur MB conteste les faits, revenant sur des aveux arrachés sous la pression et les mauvais traitements.

L’audience s’ouvre peu après neuf heures. Comme lors de l’audience du 5 décembre 2007, la salle est comble et gardées par des policiers en uniforme. Le Président appelle tout d’abord les affaires devant être reportées, puis il fait venir Monsieur MB qui entre en scandant des slogans en faveur de l’autodétermination du peuple saharaoui et du Front Polisario. A son entrée quelques nouveaux policiers viennent encadrer le prévenu debout à la barre.

Le Président procède à l’appel des trois témoins convoqués. Seuls deux sont présents : Monsieur MA, militaire déjà présent à l’audience du 5 décembre 2007, et Monsieur SM, victime et plaignant. Le troisième est absent.

Une discussion s’engage entre le Président et les avocats Me Lahamd et Me Benemman qui réclament le report de l’audience afin que le témoin manquant soit à nouveau convoqué.

Me Marbati prend la parole. Il n’est pas contre que le procès aille de l’avant, mais par solidarité avec ses confrères, il se joint à eux pour demander le report de l’audience.

Le Ministère public s’oppose au report, souhaitant que le procès se poursuive.

Le Président demande à Monsieur MB pour quelles raisons il est présent devant la Cour. Le prévenu répond que c’est en raison de ses convictions politiques pro Front Polisario.

Le Président décide de reporter l’audience au 6 février 2008.

Monsieur MB sort de la salle, les bras levés et les doigts formant le V de la victoire, en chantant un slogan en faveur de l’autodétermination du peuple saharaoui.

Je retrouve ensuite les avocats qui me font part de leur surprise quant à la présentation par l’accusation de témoins à charge si jeunes. La question se pose quant à la recevabilité de ces témoignages étant donné que le Code pénal marocain prévoit, à l’article 138, l’irresponsabilité totale des mineurs de moins de 12 ans.

Haut de page


Conclusions

La mission se termine encore une fois sur un report d’audience et sur le constat que tout n’est pas mis en œuvre pour faciliter le déroulement du procès. Notamment, si la police est fortement présente à Laayoune comme à Smara et fort occupée à s’intéresser aux déplacements des observateurs, elle ne semble pas mettre le même zèle à rechercher les témoins. Ceci est d’autant plus regrettable que les magistrats rencontrés, qui m’ont assuré leur parfaite bonne volonté, se trouvent eux-mêmes, du fait de l’activité inadéquate de la police, en situation d’incapacité.

Au vu de cette situation et face à la gravité des infractions reprochées à Messieurs MB, NS et AE ; au vu de la position des accusés qui rejettent les accusations et se présentent comme des victimes d’une répression policière en raison de leurs idées politiques et identitaires et de leur appartenance à des mouvements de défense des droits de l’Homme, je recommande la poursuite du soutien apporté à MM MB, NS et AE, dans toute la mesure des moyens disponibles.

Cette recommandation s’adresse en premier à toutes les organisations, associations et personnes privées afin qu’elles unissent leurs forces pour que ce cas, parmi tant d’autres, se termine comme un exemple de bonne justice.

J’en appelle finalement aux autorités marocaines afin qu’elles fassent triompher le Droit et la Justice, qu’elles assurent aux accusés les protections et garanties que leur accorde la loi et qu’elles mettent tout en œuvre pour conduire les procès à leur terme dans un délai raisonnable, dans le respect des règles de procédure et des droits fondamentaux.

Haut de page

Genève, le 18 janvier 2008

Ressources externes

www.asvdh.net

Site Internet de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits humains commises par l’Etat marocain

Télécharger le rapport de mission au format .pdf